Les transitions agricoles et alimentaires
Salle comble avec plus de 250 personnes au centre des congrès du Chapeau Rouge, à Quimper, pour cette conférence sur l’agriculture à l’horizon 2050 et ses impacts sur le système agroalimentaire. Organisée par la Technopole Quimper Cornouaille et animée par le journaliste Serge Marshall, la conférence a mené une réflexion croisée des transitions de l’alimentation, de sa production et de l’agriculture. Deux interventions majeures sur le sujet, à commencer par un plaidoyer de l’économiste Bruno Parmentier, pour une agriculture nouvelle, qui réponde aux attentes des consommateurs, citoyens attentifs à l’environnement. D’autant plus que les rendements ne croissent plus depuis les années 90 ! Plaidoyer complété d’une vision pragmatique de ces transitions, pour les entreprises à l’écoute de leur marché, avec Jean-Luc Perrot, directeur du pôle de compétitivité Valorial. Et enrichi des expériences des agriculteurs que sont André Sergent, Président de la Chambre Régionale d’Agriculture et Olivier Alain, Vice-Président de la Région en charge de l’agriculture et de l’agroalimentaire et de la société Hénaff. Hénaff qui a, depuis lors, reçu le prix de l’Usine alimentaire durable, lors de Meet’in agro, pour son plan d’actions stratégique BeGood2030.
Produire autrement
Si la Bretagne a nourri la France au sortir de la guerre en produisant de tout, et en quantités, elle doit aujourd’hui agir autrement. La sécurité alimentaire s’est accrue au point que la France est reconnue leader dans le domaine. Et la nourriture n’a jamais été aussi sûre, comme le défend André Sergent. Mais, si elle est un acquis non négligeable et le minimum nécessaire, elle est insuffisante, face à l’évolution des attentes des consommateurs !
Cette journée a fait consensus autour d’un leitmotiv qui n’aurait pas fait l’unanimité il y a dix ans, a rappelé Bruno Parmentier : l’agroécologie ! Il a brossé un portrait des changements que la production agricole doit mener pour répondre aux attentes des consommateurs et pour le bien de la terre. A cause du réchauffement climatique, de la baisse de la biodiversité, et parce que le système agricole est critiqué… D’où ce qu’il qualifie de nouvelle révolution, qui, contrairement aux images que l’écologie a pu véhiculer, est le système qui permettra à l’agriculture de faire face aux défis actuels.
Agroécologie et agroforesterie
A l’image des forêts tropicales et prairies naturelles, qui sont les écosystèmes qui fonctionnent le mieux, il préconise, par exemple, de cultiver céréales et légumineuses en même temps ou de sélectionner les plantes pour qu’elles poussent successivement. Et que cette nouvelle agriculture cultive les engrais de demain, ou les élève ! Avec des animaux auxiliaires de culture, en permettant également aux arbres de se développer grâce à l’agroforesterie. Les arbres garantissent un sous-sol en bonne santé et accueillent les animaux, qui eux-mêmes protègent les cultures…
Conscient que cette « nouvelle » agriculture est plus complexe que n’a pu l’être l’usage de produits phyto-sanitaires, il défend cette agriculture qui aille dans le sens de la nature et qui suppose un changement majeur. Ou une accélération, pour André Sergent, qui estime que l’agriculture locale est déjà bien engagée dans cette démarche d’agroécologie ! Olivier Alain s’est exprimé sur l’approche systémique qu’il conviendrait d’avoir, avec production de protéines et agroécologie qui devraient permettre d’absorber tous les gaz à effet de serre, d’après une étude du GIEC. Message également motivant de Jean-Luc Perrot qui a indiqué que, de par leurs choix, les entreprises de la filière aliment, peuvent contribuer à la transition environnementale, car 20% des émissions de carbone en France relèvent de l’alimentation.
Olivier Allain a témoigné de ce qu’est la modernité de l’agroécologie et l’agroforesterie appliquées à sa propre exploitation. Eleveur à Corlay, il a démarré par des techniques de conservation des sols, qui ont généré immédiatement des économies de carburant, puis d’intrants. Il pratique les rotations, préserve des prairies et envisage d’associer des légumineuses, comme pois et féveroles.
Valeur ajoutée
Déjà engagé par nombre d’entreprises en Cornouaille, comme l’a rappelé André Sergent, le changement pour une production moindre mais plus qualitative, a été le deuxième pan du discours de Bruno Parmentier. Avec pour exemple le vin du Languedoc dont la consommation est passée de 140 à 40 litres avec une valeur ajoutée supérieure. De plus, le consommateur est en réflexion pour diminuer sa consommation de viande, manger mieux, plus sain, plus nutritif… L’élevage a alors vocation à produire moins de viande et de lait, mais sous signes de qualité. Un poulet tel que celui de Loué, vendu sous label Rouge, ne subit pas les effets de la crise actuelle.
Jean-Luc Perrot a illustré ces propos par des chiffres, resituant la réflexion au plan de l’entreprise elle-même, pour leur rappeler que cette transition peut être longue… Il a également mis en avant le modèle d’une économie circulaire qui va créer plus de valeur, que l’économie linéaire qui va de la production à la consommation, en passant par la distribution.
Produire pour son seul territoire ?
Bruno Parmentier s’est exprimé également sur l’autonomie alimentaire des territoires et que leurs besoins soient d’abord satisfaits, localement, avant d’importer. Et ce, dans les pays où il reste encore des besoins non satisfaits, d’une part, et alors que la population mondiale poursuit sa croissance, d’autre part. Il juge nécessaire de recentrer la production au plus près de la consommation, dès lors que c’est possible.
Tout en étant conscient que la dimension de « local » dépend de la capacité à produire sur un territoire défini, à l’image des dix millions habitants à Paris qui peuvent difficilement être nourris avec une alimentation locale, bio et équitable… Il plébiscite des systèmes qui recherchent l’autonomie alimentaire, a minima, des continents.
Changements structurels ou signaux faibles
Côté entreprises, Jean-Luc Perrot rappelle la posture de chacune d’entre elles, qui choisit sa dimension et son marché : local, régional, national, à l’échelle d’un continent, ou mondial… et se veut rassurant : si l’agriculture et les marchés doivent se réorienter vers plus de local, la seule croissance de la population française pèse déjà, à elle seule, une croissance de 700 millions € chaque année. C’est un changement structurel majeur, au regard d’autres tendances de marché, qui peuvent parfois rester des signaux faibles, à l’image du véganisme. En revanche, le flexitarisme apparaît comme un changement structurel, selon une étude du centre culinaire contemporain. A l’image du micro-ondes qui en 20 à 30 ans s’est installé dans tous les ménages. Mais parallèlement, la demande mondiale de viande devrait croître, et il n’y a aujourd’hui que 5 à 6 % de végétariens, au monde dont une bonne part en Inde, et, 2 à 3 % en France.
La transition alimentaire est aussi techno-numérique : l’équipement en robots est en croissance et la communication doit passer par les influenceurs, car les canaux numériques ont dépassé les télés.
Une transition alimentaire pour tous
Mais, comme l’a rappelé Jean-Luc Perrot, la transition alimentaire s’applique aussi aux 95 % de production dédiée à la cuisine vite faite/pas chère et pratique, car l’aspiration au manger mieux et l’environnement sont des tendances universelles. Et ce, même si le choix de consommation se fait sous contraintes budgétaires, pour une partie de la population, qui fait toujours un mix entre pouvoir et vouloir d’achat !
Les applications numériques en sont l’expression : 16 millions de personnes ont téléchargé Yuka précise Jean-Luc Perrot. Et Bruno Parmentier estime que tout produit qui n’y figurera pas, deviendra suspect et risquera de perdre son marché… Il pense que l’étape suivante ira encore plus loin dans l’analyse : champ avec des haies, résidus de pesticides, les gaz à effet de serres générés par le repas à la cantine, etc.
La Stratégie Begood2030 chez Hénaff
Face à ces évolutions de marché, avec notamment, la recherche de la diminution des additifs, mais également l’évolution sociétale qui mobilise autour de la Responsabilité sociétale et environnementale, la société Hénaff a construit sa stratégie pour dix ans. Le plan Begood2030 illustre l’engagement de l’entreprise dans une démarche de durabilité. Loïc Hénaff s’est replacé dans l’esprit de son ancêtre et la raison d’être de son projet entrepreneurial : apporter la prospérité à Pouldreuzic. L’aspect local, pour Hénaff, c’est aussi une PME qui crée de la richesse, au-delà d’une « simple » marque. Une PME qui s’est toujours adaptée et qui continue de le faire. Au début, conserveur de poissons et aujourd’hui en diversification sur la fabrication et la transformation d’algues, de spiruline, la vente de charcuterie sur des marchés, etc.
Un éco-système essentiel à la transition alimentaire
Côté distribution, si l’export chez Hénaff répond à un impératif économique, côté achats, 76 % se font en Bretagne. Et, l’une des communautés de progrès créées pour BeGood2030, porte sur l’élevage : travailler avec les éleveurs bretons au sein de cette communauté de progrès, lui permet de s’adapter à ce mouvement sociétal et d’éviter, au maximum, d’importer des matières premières. Cette proximité au plan local permet de mieux connaître les éleveurs et de construire avec eux au sein d’un éco-système. Eco-système également valorisé par Jean-Luc Perrot avec de bonnes écoles, de bons centres techniques… et par Bruno Parmentier qui juge que la capacité de travailler ensemble et l’éco-système permettent d’avoir un coup d’avance.
Retrouvez l’intégralité de la conférence sur le site de la Technopole Quimper Cornouaille.
Cette conférence était organisée en partenariat avec Adria, Valorial et avec l’appui de Quimper Cornouaille Développement. C’était la neuvième édition de cet événement organisé au titre de ialys, réseau de performance alimentaire.