La consommation en 2020 : des changements contraints ?
Pour la dixième édition de la conférence ialys, la Technopole Quimper-Cornouaille a accueilli le sociologue Vincent Chabault, qui a publié « Eloge du magasin » et Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise du CREDOC. Ils ont analysé les effets du confinement, sur la distribution alimentaire, au regard des évolutions majeures de la consommation : au-delà des changements contraints, quelles sont les tendances fortes révélées et quels seront alors la place et les formats des commerces alimentaires demain ? Les témoignages de la table-ronde qui a suivi, ont élargi la thématique aux enseignements que les entreprises de l’alimentaire peuvent tirer du confinement. Car toutes ont été malmenées, certains débouchés telles la restauration hors domicile ou l’export ayant été interrompus. Ont témoigné Malo Bouessel du Bourg, pour Produit en Bretagne, Christophe Paumard directeur de supermarché, Sébastien Floc’h, de la SILL Entreprises et Pierre Weill, pour Bleu-Blanc Cœur.
Les révolutions de l’alimentaire
Aujourd’hui, la grande distribution pèse toujours 65% dans l’alimentaire. La première révolution du commerce qu’a été son développement en périphérie, a accompagné, selon Pascale Hébel, les changements de nos modes de vie et l’hyper-consommation. L’éloignement des centres-villes a généré le même éloignement du consommateur vis-à-vis de la production. Et, si le confinement a favorisé un retour à la proximité, il était déjà en hausse en 2017, d’après les études du CREDOC. L’impact sur l’ensemble de la grande distribution, est plus marqué encore dans les hypermarchés, qui restent en baisse, malgré une reprise post-confinement.
Les raisons évoquées sont, en partie structurelles, liées au vieillissement de la population et à la baisse de la natalité qui diminue le besoin de grands magasins. De plus, selon Vincent Chabault, son positionnement moyenne gamme a été un handicap, face à l’émergence de l’offre en discount, d’une part, avec, à l’opposé, le haut de gamme. Cette « théorie du sablier » qui considère que la moyenne gamme ne peut exister durablement, est contestée par Pierre Weill, qui, avec Bleu-Blanc-Coeur, défend une alimentation de qualité accessible à tous et qui ne soit pas bas de gamme.
Le lien social, un enjeu également public
Lors du premier confinement, les consommateurs ont recherché, dans les magasins, une proximité géographique, mais aussi du lien social, selon Vincent Chabault. Car les commerces sont des lieux de vie, avec une relation humaine, qui permet d’échapper à la solitude. Il alerte la grande distribution sur les risques à automatiser les caisses, sans prévoir, en parallèle, plus de personnel dans les rayons. Et interroge son modèle qui compresse la masse salariale, avec des entrepôts connectés, qui ne satisferont ni le besoin de socialisation, ni la revalorisation des postes. Aux Pays-Bas, un supermarché a ouvert des caisses lentes, pour rendre à nouveau visible cette proximité sociale ! Selon Pascale Hébel, cette attente ne peut que favoriser les « petits » commerces, même si la grande distribution recrée des formes de vente socialisée, avec les bouchers, par exemple. Car le « petit » commerce dépasse la seule fonction d’achat et s’éloigne de la corvée, à l’image des marchés où l’on accepte d’être dans une file d’attente.
Vincent Chabault attire aussi l’attention sur l’enjeu de cohésion sociale que représentent les commerces de proximité, pour une commune : vitalité, emploi local, tourisme… Des études ont démontré la corrélation entre le vote d’extrême droite et l’absence de magasin, mais aussi la mobilisation plus forte des « gilets jaunes » dans des communes ayant perdu récemment un commerce. Sensibiliser les citoyens à l’importance de ces magasins devient alors un enjeu, d’autant plus auprès des jeunes, car les mouvements de solidarité pour les petits commerces sont des tendances conjoncturelles, qui ne vont pas forcément se poursuivre naturellement.
La vente en ligne, le drive
En revanche, la proximité ne suffit plus, car la deuxième révolution du commerce qu’est la technologie numérique s’installe : 67% des français ont acheté en ligne en 2018, contre 36% en 2008, cite Vincent Chabault. De plus, la barrière d’avant confinement a été franchie pour les produits frais. Le drive est devenu un service essentiel, pour tous commerces, y compris pour une épicerie vrac et bio. La difficulté reste la livraison à domicile, en zone rurale, qui, compte tenu de son coût, doit être plutôt pris en charge par un système associatif, selon Christophe Paumard.
Si le concept du click & collect des commerces de proximité s’est fortement accéléré avec les confinements, le drive et la vente en ligne pré-existaient et s’inscrivent durablement. Selon les études du CREDOC, les plus jeunes sont présents, à la fois sur le discount, le drive et le e-commerce, notamment les familles.
Circuits courts et écologie
La technologie a aussi favorisé les circuits en direct avec les producteurs, via les plateformes de produits locaux qui ont explosé pendant le confinement, à l’image du réseau « Bienvenue à la ferme » cité par Vincent Chabault [NDR : retrouvez ici d’autres plateformes actives en Cornouaille]. Selon lui, même si les circuits courts vont rester minoritaires, ils se sont installés durablement. D’autant plus que ce rapprochement répond, comme à chaque crise (vache folle, grippe aviaire, etc) à un besoin de réassurance auquel répond la connaissance du producteur. Le CREDOC l’analyse comme un repli sur soi, qui bénéficie aussi aux commerces de proximité qui restent symboliquement plus locaux, quelle que soit la provenance de leurs produits.
La SILL, positionnée sur des marques traditionnelles à forte notoriété en Bretagne, a témoigné de son utilisation du numérique, pour développer ses ventes au-delà de sa zone de chalandise régionale, en s’adressant directement à son client final ! Elle s’appuie, pour ce faire, sur la diaspora bretonne invitée à solliciter son magasin habituel pour qu’il référence ses marques. Dans cet objectif le groupe a repris l’équipe de Penn ar Box, dont c’était le métier, mais qui avait cessé son activité pendant le premier confinement.
Un commerce à réinventer : numérique et social !
Le magasin continue d’avoir un rôle à jouer ! Preuve en est qu’aujourd’hui, le temps passé par le consommateur pour faire des courses hors de son domicile ne baisse pas (en moyenne 23 minutes par jour). Tous s’accordent à dire que le drive ne remplacera pas l’achat en magasins pour l’alimentaire. Et Vincent Chabault juge que le commerce doit intégrer une combinaison de vente socialisée et technicisée : une proximité modernisée avec des contenus de communication et un partage de valeurs entre fournisseurs et détaillants, pour répondre à une consommation engagée. Il suggère aux commerçants de s’inspirer des librairies pour créer de l’animation et une ambiance déconnectée, avec du conseil…
Il leur conseille également de gérer leur propre évolution numérique en évitant les plateformes collectives, le plus souvent chronophages au regard de leur efficacité. L’offre numérique ayant progressé très vite en début d’année… D’autant plus que la transformation numérique ne se limite pas au e-commerce, mais couvre toute la gestion d’une entreprise, des stocks à la facturation, en passant par le site en ligne, la communication, etc.
La restauration hors domicile (RHD)
Le commerce doit aussi composer avec la croissance de la RHD, même si les confinements lui font connaître des temps d’arrêt ! Les études du CREDOC présentent qu’en temps normal, 1 repas sur 5 est pris hors domicile. Pascale Hébel évoque un magasin hybride où l’on pourrait manger, à l’image des halles de centres-villes qui accueillent restaurateurs au plus près des producteurs locaux. Malo Bouessel du Bourg rappelle, à ce titre, que le « cuisiner maison » fut éphémère et que le plaisir de retourner au restaurant, y compris dans les fast food, est revenu chez tous, et probablement, encore plus chez les femmes ! Compte tenu que l’inégalité hommes-femmes, dans la cuisine, s’est accrue pendant le premier confinement…
Néanmoins, la restauration hors domicile risque de rester en difficulté, dans les deux années à venir, avec la croissance du chômage, et, en particulier, chez les plus jeunes. D’où l’importance, pour les entreprises agroalimentaires de diversifier leurs canaux de distribution pour éviter de dépasser 10% de leur chiffre d’affaires via un seul réseau. En réponse à ces enjeux, Produit en Bretagne propose aux entreprises de s’adosser à son réseau, pour bénéficier d’une force de vente collective et d’une alliance majeure entre fabricants et distributeurs.
Le mieux et le moins manger
En termes de produits, les études du CREDOC montrent, qu’en 20 ans, l’aliment de qualité est majoritairement passé, dans l’imaginaire des français, du goût/fraîcheur au bio, suivi par les produits « sans », frais, naturels, locaux, et, pour la première fois, l’aliment-santé. Si le bio s’étend à toute la population, sa croissance devrait stagner avec le chômage qui va augmenter, et le critère prix, reprendre de l’importance. A moins que la tendance du « moins » ne soit plus forte, avec une baisse de la consommation, un recours plus important au vrac, des évictions, ou moins de viande rouge. Le consommer moins étant porté par les plus jeunes et les plus diplômés. Et, avec la transition protéique, la consommation alimentaire devrait se reporter sur les fruits et légumes.
En revanche, l’agroécologie est affichée comme modèle d’avenir, même sans label à ce jour. Ce que Pierre Weill défend, avec Bleu Blanc Cœur, qui se positionne sur le mieux manger et l’aliment-santé, pour tous, grâce à un apport nutritionnel élevé, et qui se base sur des animaux et un sol mieux nourris. À ce titre, il fait référence à la base de données Agribalyse qui permet de chiffrer les bénéfices environnementaux des différents signes de qualité [sur ce sujet, retrouvez le dossier « Empreinte environnementale des produits alimentaires »].
L’engagement sociétal et environnemental
Car le consommateur ne va pas se contenter de Nutri-score ou d’applications nutrition, telle que Yuka : il a des attentes multicritères, sur le bien-être animal, l’écologie, les transports, l’égalité hommes-femmes, etc. Dans cet achat responsable, l’influence du local, sur les consommateurs, à l’image du Made in France, reste opaque, selon Pascale Hébel. Mais la marque qui valoriserait la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) lui apparaît une promesse de changement.
La marque Produit en Bretagne occupe une place à part sur ces dimensions, puisqu’elle a une notoriété inégalée, sur le critère de l’achat local et de proximité et, de plus en plus, sur la notion de qualité. Cette année, les entreprises adhérentes ont pu constater une progression 3 fois plus forte de leurs ventes de produits à marque Produit en Bretagne par rapport à celles qui ne l’ont pas. Et, pour exister encore demain, les 450 entreprises s’adaptent aux attentes de la société, en s’engageant dans une démarche de RSE. Si la norme ISO 26000 et l’entreprise à mission restent optionnelles, cette première étape s’adresse à toutes. A ce titre, le collectif Produit en Bretagne, au–delà de son poids face aux réseaux de distribution, permet de mutualiser des compétences, de bénéficier de formations, ou de coaching ! De s’engager collectivement…
L’intégralité de la conférence et de la table-ronde restent accessibles sur le site de la Technopole Quimper-Cornouaille.
Quimper Cornouaille Développement soutient la Technopole Quimper-Cornouaille, au titre de ialys, pour l’organisation de cette conférence annuelle, ainsi que des ateliers Innov’agro et des retours salon. Participent également à l’organisation de cet événement l’Adria, Valorial, les 7 Technopoles de Bretagne et la CCIMBO Une partie des 150 participants était présente au centre des congrès du Chapeau Rouge, à Quimper. La conférence était animée par Serge Marshall de l’agence Rivacom.
Rédaction : Dominique Pennec / Quimper Cornouaille Développement. Merci à Fabien Le Bleis / Technopole Quimper-Cornouaille !
Photos : Quimper Cornouaille Développement / Emmanuelle Coacolou, Ronan Marcel et Jean-Pierre Ferrand (c) pour la ZAE